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Surtout ne pas bouger

Surtout ne pas bouger, se taire et regarder. La bête était là, tapie dans la pénombre perpétuelle. Elle repérait le moindre mouvement, le moindre bruit.
La bête n’était pas d’origine animale, c’était un monstre fait de métal et d’acier. Elle datait de la dernière grande guerre, qui se passait mille ans plus tôt.

Les Hommes, dans leur folie auto-destructrice, avaient tout détruit, les villes en ruines, rayées des cartes (qui elles mêmes ne voulaient plus dire grande chose), les animaux morts, les carcasses éparpillées sur les routes, sur ce qui était – avant – des champs.

Il n’y avait plus que de la nourriture lyophilisée, sans goût, sans saveur. Le cannibalisme était monnaie courante.

Et la bête était là, elle me pourchassait depuis des jours, sans relâche. Je ne dormais plus, il fallait se cacher. Heureusement, le monstre n’était plus doté de capteurs thermiques, sans quoi il m’aurait eu depuis longtemps. Il me poursuivait non parce que j’étais l’ennemi du peuple qui l’avait construit, il le faisait car ses programmes étaient très certainement détraqués. Il tuait tout ce qui vivait et à présent c’était mon tour.

Nombreux étaient ceux qui avaient succombés à ses griffes et à ses mâchoires démesurées. Il n’y avait aucune échappatoire et il fallait que je m’en sorte.

Avant d’être pris en chasse, avant qu’elle ne vienne sur mes terres (ou du moins ce qu’il en reste), j’étais rôdeur. Car oui, il y avait moult autres prédateurs de ferraille qui traînaient à la recherche d’une victime et j’étais de ceux qui protégeaient le clan.

Avant mon exil forcée, je faisais partie du clan des xamoxs, on était peu nombreux mais étions très respectés par les autres tribus. Il y avait maintes légendes qui contaient les exploits de nos ancêtres triomphant des monstres mécaniques. Non pas par la force mais par la ruse.

Oui, nous étions rusés, mais comment sortir de ce pétrin mortel dans lequel j’étais ?

La bête ne dormait jamais, ne relâchait jamais sa terrible attention.

J’étais caché dans les décombres d’une ancienne maison isolée dans ce qui était autrefois une joyeuse vallée bordée de collines.

J’étais mal, affaibli, je pensais à renoncer, à me jeter dans l’immense gueule de fer lorsque je vis une ombre se déplacer derrière un pant de mur. Un enfant sortit discrètement. Il tenait à la main un objet que je ne parvins pas à identifier. Il actionna la machine et un hologramme en sortit, juste devant la bête. C’était une femme coiffée, maquillée et habillée magnifiquement. Elle bougea les lèvres, en sortirent un chant d’une extrême beauté. Sa voix était d’une clarté toute cristalline.

Le monstre se jeta dessus. J’étais tant subjugué par son impensable beauté que j’en oubliais sa virtualité, je couru jusqu’à elle pour la sauver de la bête.

Au lieu de toucher son corps fin, mes mains ne rencontrèrent que le vide.

Je réalisais soudain mon erreur et tentais de m’enfuir. La machine tueuse me happa le bras droit. Je sentis ma peau se déchirer, mes tendons céder, mes os craquer. La souffrance était intolérable, mais la peur était si grande qu’un bras en moins était un moindre mal.

Une scène odieuse se dessina alors devant mes yeux. La femme, l’ange infernal continuait de chanter, de sa superbe voix, imperturbable, délicate, se tenant étonnement droite, d’une raideur élégante et intimidante, le monstre hurlait triomphalement, ses mâchoires croquant avidement ce qui était auparavant mon bras. En arrière plan, l’enfant qui avait voulu me sauver prenait ses jambes à son cou, se carapatant je ne sais où.

Pris d’une indicible terreur, je me mis à pleurer. Le temps semblait s’allonger d’une terrifiante façon, la scène d’horreur semblait durer éternellement.

Je me mis à courir désespérément, je repérais un plan d’eau dans lequel je me jetais éperdument.

La bête s’acharna quelques temps sur l’hologramme chantant puis porta son attention sur une petite ombre qui se mouvait derrière elle. L’enfant ! Il tentait de m’aider à nouveau, cette fois avec un minuscule pistolet laser qui semblait dérisoire face à l’énorme chose qu’il devait affronter.

Avec une rapidité stupéfiante, la machine se jeta sur l’enfant. Le pistolet tomba des petites mains tremblantes du garçonnet, il se fit littéralement dévorer, chairs et os.

La bête enfin repus s’éloigna de l’endroit du carnage, partant à la recherche d’une nouvelle proie. Elle m’avait oublié.

Ce jour-là, un enfant mourut, un bras droit fut perdu et un homme lâche fut sauvé.