Un vieil homme et la poussière
Il était l'histoire d'un homme qui chaque jour attendait le bus. Ce dernier devait le conduire à je ne sais quelle ville, perdue dans je ne sais quel pays. L'homme était vieux, il sortait chaque matin de sa maison mi de ruines mi de souvenirs et avançait de son pas chancelant vers l'ancien arrêt qui, miraculeusement, n'avait pas été détruit.
L'atmosphère, saturée d'une poussière radioactive, était lourde et semblait en discorde avec le soleil. Le disque de vie s'en était allé éclairer ceux qui le méritaient.
Il attendait donc, des heures durant, passant par plusieurs phases de comportements. Il était tout d'abord inquiet, c'est qu'il ne pouvait se permettre d'être en retard au travail. Son patron le lui avait déjà dit, il en serait sanctionné. Puis, il commençait à s'énerver, pestant contre la compagnie de bus qui n'assumait pas ses engagements vis-à-vis de ses dépendants. Enfin, il s'inquiétait de nouveau, remarquant alors que personne ne l'accompagnait dans sa vaine attente. Il était seul, et il rentrait chez lui, malheureux que le bus l'ai une fois de plus abandonné.
Et même lors de son long trajet de l'arrêt à son domicile, le vieil homme ne paraissait pas s'apercevoir que son passé tout entier l'entourait, qu'il était le seul, le dernier. Il marchait, s'appuyant sur sa canne, au milieu des immeubles disloqués, jaunis par les années et la poussière meurtrière. Il marchait sur les pavés fendus, n'y prétant pas attention, trop attristé par sa situation, se demandant ce qu'il pourrait bien dire à son patron, une fois qu'il le verrait.
Ce qu'il ne savait pas, c'est que cet homme qui lui voulait tant de mal était mort, une bonne décennie auparavant. Il était mort comme tous ses semblables et seul ce vieil homme semblait avoir survécu au Cataclysme.
Une fois rentré dans sa demeure faite de fantasmes psychotiques, il retrouvait son fantôme de femme qui geignait, l'accusant de tous les torts, surtout celui de rater le bus. Alors, le vieil homme retenait ses larmes, malheureux de ne pouvoir contenter son épouse tant aimée.
Il faisait la cuisine, préparant de délicieux plats de viandes et de légumes. Et il était fier car, après tout, qui les avait fait pousser, ces carottes ? ces poireaux ? Lui ! Lui et lui seul ! Il préparait donc le délicieux repas, la voix de sa femme le félicitant pour la bonne odeur s'élevant des casseroles. Mais, le vieillard ne se rendait pas compte que les légumes étaient en fait les débris de pierres trouvées dans son potager et que l'odeur était celle de l'assassine poussière. Une fois la nourriture dans l'assiette, l'homme appelait son épouse et ses enfants, et tous mangeaient joyeusement. L'écho des rires enfantins résonnaient entre les quatre murs défraîchis, semblant presque réels et pourtant, une nuance éteinte et douloureuse les accompagnait.
Outre les visions du dernier homme, il se nourrissait seul de cailloux qu'il mâchait tant bien que mal, se faisant la réflexion que les pommes de terre n'étaient pas cuites. Et le rire de ses enfants, exprimant leur hilarité après un trait d'esprit de leur père, n'étaient en fait que le souffle du vent qui créait un courant-d'air dans la maison du fou.